La centrale thermique du Larivot

La centrale du Larivot est une centrale thermique de 120 MW prévue pour remplacer la centrale de Dégrad-des-Cannes, initialement autorisée au fioul puis convertie à la biomasse liquide. Par son dimensionnement, le manque de démocratie dans son instruction, son impact climatique et sur la biodiversité, ce projet a suscité de nombreuses controverses ainsi que des recours intentés par Guyane Nature Environnement et la fédération nationale France Nature Environnement.

Une installation prévue dès 2017

Centrale de Dégrad-des-Cannes et groupes de secours

La Programmation pluriannuelle de l’énergie de la Guyane prévoit depuis mars 2017 le remplacement de la centrale thermique au fioul et des deux turbines à combustion de Dégrad-des-Cannes (puissance de 42,7 MW + les deux turbines à combustion de 40 MW) par une centrale thermique au fioul convertible gaz d’une puissance de l’ordre de 120 MW associée à une centrale photovoltaïque de 10 MWc sans stockage. Il était précédemment prévu en 2009 le remplacement de la centrale thermique de Dégrad-des-Cannes par une installation de 72 MW.

L’adoption de la Programmation pluriannuelle de l’énergie a été suivie par une autorisation délivrée le 13 juin 2017 à EDF-Production Electrique Insulaire (PEI) pour l’exploitation d’une installation de production d’électricité d’une capacité de production de 122,5 MW au lieu-dit du Larivot, au bord de la RN1 avant le pont du Larivot à Matoury.

Le surdimensionnement de la centrale avait fait l’objet d’une alerte de la Commission de régulation de l’énergie en 2017 et l’Inspection générale des finances déclarait qu’il n’y avait pas de trace de discussions sur l’évaluation de la taille optimale des parcs thermiques dans les PPE. La centrale représentera aussi un investissement très important de plus d’un demi-milliard d’euros financé au moins en partie par l’argent public, ce qui fait autant d’investissements en moins dans les énergies renouvelables. Si la centrale n’est pas prévue pour fonctionner en base, pourquoi un tel investissement alors qu’il existe d’autres solutions de secours?

Une participation publique au rabais

La concertation publique préalable avait été menée entre le 21 mai et le 6 juillet 2018 n’a abouti qu’à 6 participations numériques, 729 vues sur le site (37,4% en Guyane et le reste en métropole) selon le bilan du garant, du fait de sa simultanéité avec le débat public Montagne d’or qui a concentré l’attention du public. Aucune note technique complète sur les alternatives ou le choix du site n’a été détaillée par le pétitionnaire lors de ces réunions.

Actualité de la Préfecture du 17 mars 2020

L’enquête publique sur le projet avait été organisée du 15 mai au 15 juin 2020, en pleine période de crise sanitaire Covid-19, ce qui a empêché les citoyens d’échanger avec les commissaires-enquêteurs ou de consulter les dossiers papier, notamment pour les personnes sans accès à internet. La Compagnie nationale des commissaires-enquêteurs et la Commission Nationale du Débat Public déploraient en avril 2020 dans un communiqué commun que les enquêtes publiques soient considérées comme « un frein inutile et un droit secondaire ». Ceci est d’autant plus regrettable qu’au regard des enjeux environnementaux, du coût d’investissement du projet évalué à plus de 500 millions d’euros d’argent public et des modalités de saisine de la CNDP, un débat public aurait pu être organisé.

De fait, il n’y a pas eu de véritable espace d’échanges et de discussion publics sur le projet, alors que ce dernier posait question sur de nombreux points.

Un projet à rebours de l’urgence climatique

Centrale de Dégrad-des-CannesDossier de concertation

Alors que la Guyane fait figure d’exception dans l’atteinte des objectifs de production d’énergie renouvelable, que les territoires d’outre-mer doivent atteindre l’autonomie énergétique en 2030 et que la France a pris des engagements sur la décarbonation de l’énergie à la COP21, la centrale du Larivot a initialement été autorisée à démarrer au fioul. Pour mémoire, la dernière centrale au fioul de l’hexagone avait fermé le 31 mars 2018.

Le choix de ce carburant a été vivement critiqué, au vu de l’urgence climatique et des recommandations de l’ADEME et du Syndicat des Energies Renouvelables (SER) qui appuyaient pour une production guyanaise 100% renouvelable moyennant des ajustements techniques et une gestion rigoureuse du système électrique. De plus, les centrales au fioul émettent des particules fines qui impactent directement la santé des riverains.

Sur demande du Ministère de la Transition Écologique, EDF-PEI a ensuite annoncé la conversion de la centrale du Larivot à la biomasse liquide, autrement dit des agrocarburants de type biodiesel fabriqué à partir de cultures d’oléagineux, comme les centrales de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Réunion. Si EDF-PEI et le Ministère se sont engagés à ce que ce carburant ne contienne pas contenir d’huile de palme ou de soja, ils restent cependant muets sur l’origine précise de la matière première, ce qui ne permet pas d’évaluer précisément son impact et s’apparente à du greenwashing.

Une zone riche en biodiversité et sensible aux inondations

Faune remarquable – Etude d’impact Centrale du Larivot – EDF PEI et Biotope

La zone du Larivot est avant tout une zone humide, principalement composée de mangroves, marais et forêts marécageuses, qui abrite une biodiversité exceptionnelle à l’échelle de l’Ile de Cayenne.

De nombreuses espèces ont été identifiées dans la zone: pour la flore, six espèces remarquables dont deux protégées et une espèce très rare ont été inventoriées et pour la faune, 114 espèces d’oiseaux ont été contactées, dont 36 avec des enjeux de conservation et quatre espèces remarquables de mammifères. Parmi les espèces à fort enjeu de conservation, on retrouve le Toucan toco et le Milan à long bec, qui sont en danger d’extinction, et la biche des palétuviers, une espèce très rare classée vulnérable sur la liste rouge de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). La zone humide du Larivot constitue également un corridor écologique entre les mangroves de Matoury et le marais Leblond. Ces espèces seront a minima perturbées par les travaux et au pire verront leur habitat détruit, en plus des risques de pollution accidentelles.

En plus de son intérêt biologique, la zone humide du Larivot constitue aussi une zone tampon qui atténue les risques littoraux comme l’érosion et les inondations: la détruire revient à augmenter les risques pour les zones habitées et les infrastructures en se privant d’un rempart naturel.

Territoire à risque important d’inondation Matoury – DEAL, Artelia

La zone du Larivot est sensible au risque inondation: elle est même classée en zone d’aléa fort d’inondation par submersion marine et débordement de cours d’eau au sein du Territoire à Risque Important d’inondation qu’est l’Ile de Cayenne, du fait de sa situation dans le champ d’expansion des crues de la rivière de Cayenne. Ce risque devrait également s’accentuer avec le changement climatique, qui implique une montée des eaux à l’échelle globale et une intensification des phénomènes météorologiques. Pour mettre la centrale hors d’eau, EDF a recours à une très importante quantité de remblais, en particulier du sable, une ressource en tension pour la construction de logements en Guyane.

Tracé de l’oléoduc – EDF-PEI

Les impacts ne se limitent pas au site du Larivot: pour acheminer le carburant du port pétrolier de Dégrad-des-Cannes au Larivot, il a fallu tracer un oléoduc de 14 km qui traverse les trois communes de l’Ile de Cayenne, dans des zones naturelles et des zones habitées. Cet oléoduc fait peser de nombreux risques technologiques sur les riverains et sur les espaces naturels.

Un marathon judiciaire

Entre la fin de l’année 2020 et le début de l’année 2021, Guyane Nature Environnement et France Nature Environnement ont déposé des recours contre quatre arrêtés préfectoraux (autorisation environnementale, permis de construire, autorisation de construire et d’exploiter l’oléoduc et déclaration d’utilité publique de l’oléoduc) permettant la mise en place d’une centrale thermique au fioul de 120 MW au lieu-dit du Larivot sur la commune de Matoury.

Les associations soutiennent de nombreux moyens dans ces recours, comme par exemple l’incompatibilité du projet avec la transition énergétique, la localisation dans une zone littorale et inondable, la conservation des espèces protégées et des milieux humides, l’atteinte à la biodiversité remarquable de la zone, le déroulement de l’enquête publique… 

Chantier du Larivot le 10 juillet 2021

Conscients du temps nécessaire d’instruction du dossier par les juridictions administratives et face à l’avancement rapide du projet, les associations ont formé un recours en référé sur l’autorisation environnementale le 7 juillet 2021, pour obtenir la suspension des travaux. Le tribunal administratif de Cayenne a fait droit à ces demandes le 27 juillet, retenant l’incompatibilité du projet vis-à-vis des objectifs d’émissions de gaz à effet de serre et de la loi Littoral. La décision a été confirmée à l’occasion du jugement de la tierce opposition formée par la Collectivité territoriale de Guyane, la Chambre de commerce et d’industrie et la Fédération régionale du bâtiment et des travaux publics le 7 septembre 2021. L’Etat a par la suite formé un pourvoi devant le Conseil d’Etat sur cette décision de référé, qui a donné lieu à l’annulation de la décision de première instance le 10 février 2022.

Les actions au fond ont été jugées en deux temps dans le courant de l’année 2022 :

  • L’autorisation environnementale de la centrale a été annulée par le Tribunal administratif de la Guyane le 28 avril 2022, ce qui a empêché la reprise des travaux, qui aurait pu avoir lieu à la suite de la décision du 10 février 2022. Les juges ont retenu que les alternatives de localisation de la centrale, en particulier celle d’une implantation proche de la centrale actuelle de Dégrad-des-Cannes, n’avaient pas été suffisamment étudiées, alors que cette dernière était plus favorable au regard du risque inondation et des enjeux environnementaux, notamment liés à la construction de l’oléoduc. Le tribunal estime aussi qu’EDF-PEI s’est rajouté des contraintes non nécessaires sur le dimensionnement de l’installation pour justifier le choix du Larivot.
  • Cette décision a fait l’objet d’une demande de sursis et d’un appel auprès de la Cour administrative d’appel de Bordeaux. La Cour administrative d’appel de Bordeaux a accepté la demande de sursis formée par les trois parties adverses le 21 juin 2022 et l’appel sur le fond le 7 février 2023.
  • Le permis de construire a été annulé de la même façon le 28 juillet 2022, empêchant aussi la reprise des travaux permise par la décision de sursis du 21 juin 2022. Les juges ont retenu que la centrale était localisée sur un Espace Naturel Remarquable du Littoral (ENRL), une zone inconstructible en vertu de la loi Littoral de 1986.
  • Cette décision a fait l’objet d’une demande de sursis et d’un appel auprès de la Cour administrative d’appel de Bordeaux. La Cour administrative d’appel de Bordeaux a accepté la demande de sursis formée par les trois parties adverses le 7 octobre 2022, ainsi que l’appel sur le fond le 28 mars 2023.
  • Les recours sur l’autorisation de construire et d’exploiter l’oléoduc ainsi que sa déclaration d’utilité publique ont été rejetés par le tribunal administratif le 28 juillet 2022, à la suite de quoi les associations n’ont pas fait appel.

Le chantier de la centrale a repris en juillet 2023, les associations ont pris acte des décisions de la Cour administrative d’appel de Bordeaux. Dans le même temps, Guyane Nature Environnement continue son plaidoyer pour une transition énergétique adaptée au territoire et une limitation de son impact sur l’environnement, notamment dans le cadre des ateliers sur la Programmation Pluriannuelle de l’Energie. “La programmation pluriannuelle de l’énergie est actuellement en révision: c’est l’occasion de prendre la meilleure trajectoire pour la transition et l’autonomie énergétique de la Guyane, qui répondra véritablement aux problématiques et aux besoins du territoire!” résume Matthieu Barthas, Président de Guyane Nature Environnement.

Nos communiqués

Sur la modification de la limite transversale de la mer: Modifier la limite transversale de la mer : une troisième tentative pour installer la centrale du Larivot?, le 16 mars 2022

Sur la modification de la programmation pluriannuelle de l’énergie: Centrale du Larivot, l’avenir énergétique de la Guyane acté dans l’ombre, le 5 mai 2021

Ressources

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