A l’heure de l’urgence climatique et de la demande du Conseil d’Etat de prendre des mesures fortes pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre(1), la centrale du Larivot est toujours en construction en Guyane. Ce projet, surdimensionné et utilisant un carburant d’un autre temps, a déjà occasionné la destruction d’une partie de la forêt marécageuse du Larivot: tout est défriché, les pelles mécaniques et les camions ont maintenant commencé le terrassement du terrain. Devant la rapidité des travaux de la centrale et la destruction durable de la biodiversité, Guyane Nature Environnement et France Nature Environnement ont déposé un recours en référé pour que le tribunal se prononce avant qu’il ne soit trop tard.
Pour l’instant, la centrale fonctionnera toujours au fioul
La centrale du Larivot a été initialement autorisée comme fonctionnant au fioul, avec une possibilité de conversion au gaz. EDF-PEI et le Ministère de la transition écologique ont annoncé la conversion de la centrale aux agrocarburants, mais les carburants fossiles figurent toujours dans les textes, y compris dans le projet de modification de la programmation pluriannuelle de l’énergie. Si la centrale était effectivement alimentée avec des agrocarburants, il faudrait consacrer des dizaines de milliers d’hectares à la culture d’oléagineux, surface qui n’est disponible ni en Guyane, ni dans l’Hexagone, ni dans l’Union européenne (2). Importer du carburant produit à partir de monoculture intensive, probablement en défrichant des milieux naturels, aurait alors une empreinte carbone très importante, voire pire que celle du fioul selon plusieurs études commandées par la Commission européenne (3), l’Assemblée nationale (4) et le Commissariat général au développement durable (5). Quel que soit le carburant utilisé, une centrale à combustion de cette puissance n’est donc pas durable.
Une implantation au milieu d’espèces protégées et en zone inondable
La centrale est en cours de construction dans une zone où ont été repérées plusieurs espèces rares et protégées, parmi elles le toucan toco, le milan à long bec, la loutre à longue queue et la biche des palétuviers. Ces espèces, déjà menacées par l’agrandissement de l’urbanisation sur l’île de Cayenne, sont en train de voir une partie supplémentaire de leur habitat disparaître. De plus, la zone de chantier se trouve sur un corridor écologique, un passage entre deux zones particulièrement riches en biodiversité, le marais Leblond au Nord et le Mont Grand Matoury du Sud.
Les impacts environnementaux du projet ne se limitent pas à la zone du Larivot : la rivière de Cayenne sera exposée, le risque de fuites persiste tout au long du trajet de l’oléoduc sur 14 km et les rejets de gaz à effet de serre contribueront au réchauffement climatique global, aux conséquences catastrophiques y compris en Guyane (6). En outre, soumise au risque de submersion marine et d’inondation, la zone d’implantation de la centrale doit être remblayée et consolidée avec des tonnes de matériaux, ce qui contribue à épuiser les réserves de sable, une ressource faisant déjà régulièrement l’objet de pénuries en Guyane. Rappelons par ailleurs le risque stratégique de centraliser la majeure partie de la production énergétique dans un seul projet : il s’oppose au principe de résilience en exposant à un réel risque de black-out en cas de défaillance de la centrale !
L’absence de recherche d’alternatives
Ce projet a été acté alors que de nombreuses alternatives étaient possibles pour la Guyane : un mix énergétique à base de photovoltaïque, d’hydraulique et d’éolien (7) permettrait de rendre la collectivité autonome en énergie et en phase avec les objectifs climatiques nationaux. Le Groupement des Entreprises en Énergies Renouvelables de Guyane (GENERG) estime que 160 MW de projets de production d’énergies renouvelables seraient opérationnels d’ici à 2025, ce qui créerait un mix photovoltaïque intermittent et garanti, hydraulique et biomasse, soit 40 MW de plus que la centrale du Larivot (120 MW) et seulement un an après sa mise en service. Ce chiffre ne compte d’ailleurs pas les projets de solaire flottant sur la retenue de Petit-Saut ni le contesté projet de Total-Quadran de photovoltaïque dans les savanes de Macouria. En attendant leur mise en service, il serait possible d’utiliser les groupes électrogènes mobiles qui sont déjà utilisés pour pallier aux restrictions de fonctionnement de la centrale de Dégrad-des-Cannes.
De plus, il faudrait 240 ha de photovoltaïque pour produire la même quantité d’énergie que la centrale du Larivot d’après le GENERG. Cette surface est probablement déjà disponible sans impact environnemental, si l’on cumule les zones industrielles et commerciales, les bâtiments publics et leurs parkings, ce qui éviterait de la déforestation. Mais pourquoi les alternatives n’ont-elles pas été étudiées au regard de leur grande pertinence ? Mystère…
Financer la transition écologique au lieu d’une méga centrale thermique ?
“Un demi-milliard d’euros pour la centrale du Larivot, c’est plus que le viaduc de Millau (320 millions d’euros (M€)), deux fois le nouveau pont du Larivot (100 M€ pour le pont et 150 M€ pour le raccordement à la RN1), 3,5 fois le nouvel hôpital de Saint Laurent (140 M€) ou encore 5 lancements de satellites sur Ariane 5 (100 M€). “ calcule Rémi Girault, président de Guyane Nature Environnement. “Pour le prix d’un projet pareil, on aurait pu construire l’autonomie énergétique, politique vertueuse pour l’économie, l’environnement et l’emploi en Guyane. Si la lutte contre le réchauffement climatique est une priorité de la nouvelle équipe de la Collectivité territoriale de Guyane, il serait intéressant de réorienter tout cet argent dans la transition écologique.”
Pour toutes ces raisons, Guyane Nature Environnement et France Nature Environnement ont déposé un recours en référé contre l’autorisation environnementale de la centrale devant le Tribunal administratif de Cayenne, dans l’espoir de suspendre les travaux avant que le sol ne soit complètement artificialisé.
(1) Le Conseil d’Etat a enjoint l’Etat de renforcer sous 9 mois les mesures de lutte contre le changement climatique, afin d’atteindre les objectifs fixés pour 2050. Article dans Reporterre du 1er juillet 2021
(2) Le Ministère de la transition écologique notait dans une réponse à une question parlementaire du 10 juin 2021 que la France importait déjà 50% du colza nécessaire à la production nationale de biodiesel et que la menace des changements d’affectation des terres pesait déjà sur les terres européennes, limitant la production d’agrocarburants.
(3) Biodiesel’s impact: emissions of an extra 12m cars on our roads, latest figures show, Transport and Environment, 25 avril 2016
(4) L’agriculture face au défi de la production d’énergie, Assemblée Nationale et Sénat, 16 juillet 2020
(5) Bilan carbone des agrocarburants: vers une prise en compte des changements indirects d’affectation des sols, CGDD, 1e mars 2013
(6) Bouleversement climatique et sixième extinction de masse: en Guyane aussi “il faut agir tout de suite”, Guyaweb, 11 juin 2021
(7) Vers l’économie énergétique en zone non interconnectée (ZNI) en Guyane, ADEME, décembre 2020
En savoir plus
Notre communiqué sur notre action en justice au fond du 26 février 2021
Notre communiqué sur la conversion de la centrale à la biomasse liquide du 5 mai 2021