Depuis 2017, une grande compagnie minière s’intéresse de très près au sous-sol de la forêt amazonienne guyanaise. Le projet minier Montagne d’Or ambitionne de mettre la main sur près de 85 tonnes d’or qui se trouveraient dans l’Ouest du territoire. La réalisation et l’exploitation de cette méga-mine auraient de graves conséquences environnementales et économiques. France Nature Environnement et Guyane Nature Environnement considèrent qu’il doit être évité. Tour d’horizon des nombreuses raisons de refuser ce projet colossal et passéiste.
Le projet minier Montagne d’or: qu’est-ce que c’est ?
La Montagne d’Or est le premier projet minier aurifère à échelle industrielle en Guyane. Les dimensions de cette mine à ciel ouvert sont pharaoniques :
- 2,5 kilomètres de long ;
- 400 mètres de large ;
- jusqu’à 320 mètres de profondeur.
L’extraction de l’or durerait 12 ans, dans cette gigantesque mine à ciel ouvert et peut-être plus aux alentours. A terme, 54 millions de tonnes de minerai auront été forées et traitées par cyanuration, pour seulement 1,6 g d’or par tonne de minerai.
La Compagnie minière Montagne d’or était issue d’un consortium russo-canadien, des sociétés Nordgold et Colombus Gold, désormais renommée Orea Mining. A la suite de l’éclatement de la guerre russo-ukrainienne, la société russe Nordgold, qui détenait 55% du projet Montagne d’or, a revendu ses parts à la société canadienne Orea Mining, qui détenait 45% des parts du projet.
Un désastre écologique pour la forêt amazonienne
Une destruction inévitable de la biodiversité
A l’heure où ralentir l’érosion mondiale de la biodiversité est devenu fondamental pour l’avenir du Vivant, le développement d’un tel projet ferait disparaître 1 500 hectares de forêt pour l’installation de la mine, en plus de ses installations annexes et de la construction de la route qui la reliera au littoral.
Pas moins de 2 000 espèces, dont 127 espèces protégées, vont voir leur habitat détruit ou perturbé. Le projet d’exploitation minière s’étalerait également en limite et en amont fluvial de la plus grande réserve biologique intégrale de France ; la réserve de Lucifer Dékou-Dékou. La compensation des surfaces détruites et des atteintes écologiques d’un tel projet, conformément à la règle « zéro perte nette » de la loi biodiversité d’août 2016, paraît tout simplement impossible.
Cyanure, explosifs, métaux lourds : d’importants risques technologiques
L’extraction industrielle de l’or nécessite l’utilisation de plusieurs produits dangereux, notamment des explosifs et du cyanure, un composé chimique mortel à très faible dose. Les explosifs servent à l’extraction des roches contenant l’or. Ces roches sont ensuite broyées et traitées par cyanuration pour en extraire l’or. Les roches issues de ce processus, potentiellement contaminées par le cyanure, sont stockées sur le site de la mine sous forme de boues.
Au-delà de l’inévitable destruction de la biodiversité provoquée par un tel projet, ces procédés font peser de nombreux risques d’intoxication de tout l’écosystème sur cette zone :
- Le projet nécessite des quantités incroyables de cyanure et d’explosifs : les besoins en explosifs sont considérables pour extraire chaque jour 12 500 tonnes de roches : on l’estime à 20 tonnes de nitrate d’ammonium par jour. De plus, le projet utiliserait plus de 8 tonnes de cyanure par jour, pour extraire l’or des roches broyées. Ce cyanure ne peut être produit sur place, et son transport présente des risques considérables. Au total, 57 000 tonnes d’explosifs et 46 500 tonnes de cyanure seront nécessaires pour extraire l’or sur les 12 ans du projet.
- La fiabilité du stockage des boues issues de la cyanuration n’est pas assurée, à cause des fortes pluies : les millions de tonnes de boue potentiellement cyanurées générées par le projet seront stockées dans des parcs à résidus, qui devront pouvoir résister dans le temps et l’espace. Le risque de pollution de l’environnement est grand : au Brésil, la rupture de digues associées à une forte pluviométrie a déjà entraîné des catastrophes écologiques et humaines. Dans la zone concernée par le projet, la pluviométrie tropicale est estimée à 3 000 mm par an. Les inondations de mars 2017 et des saisons des pluies de 2021 et 2022 sur le territoire guyanais, sont également un grand facteur d’alerte.
- L’ouverture et la profondeur de la mine entraînent des risques de pollution des eaux aux métaux lourds à l’échelle de la Guyane, comme la contamination des nappes phréatiques et le drainage minier acide. La mise à jour du substrat rocheux naturellement sulfuré, risque de provoquer une acidification des eaux de surface et souterraines, susceptibles alors de dissoudre des métaux lourds présents dans les roches (plomb, cadmium, cuivre, mercure…) et de les disséminer par ruissellement. La Compagnie minière Montagne d’Or, maître d’ouvrage du projet, n’a fourni aucun élément concret pour évaluer ce risque.
Les populations autochtones, grandes oubliées du projet
Un mode de vie traditionnel menacé par les pollutions et les drames sanitaires
La société guyanaise, composée de plus de 25 ethnies, est multiculturelle et riche en savoirs traditionnels. Outre leurs langues, les communautés amérindiennes, bushinengués d’origine africaine, créoles, etc., ont en particulier su conserver des savoir-faire, des valeurs culturelles et des connaissances dans le domaine agricole, des plantes et de la faune : un mode de vie respectueux de l’environnement, à l’opposé des projets miniers titanesques comme celui de la Montagne d’Or.
De plus, de nombreuses populations autochtones consomment traditionnellement beaucoup de poissons, et subissent encore aujourd’hui les effets de la contamination au mercure, utilisé et remobilisé par l’orpaillage. En plus de la destruction du patrimoine archéologique, cette nouvelle dégradation de leur environnement les expose directement et conduira inéluctablement à de nouveaux drames sanitaires, liés au risque de contamination de l’eau par le cyanure et les métaux lourds, et entache leur mode de vie traditionnel.
Un projet financé par l’argent public qui pourrait aggraver le chômage en Guyane
A cette catastrophe sanitaire annoncée s’ajoute la problématique de l’emploi, dans une région avec un taux de chômage particulièrement élevé (54% de chômage dans l’ouest guyanais, et 26% dans l’ensemble de la Guyane).
En effet, l’évolution des industries extractives conduit à une forte mécanisation ; les emplois créés sur les sites sont donc généralement réservés à un personnel spécifiquement qualifié et profitent peu aux populations locales. La Compagnie minière Montagne d’Or, maître d’ouvrage du projet, réussira-t-elle à créer des emplois qui profiteront durablement aux guyanais, sans discrimination dans la répartition ?
La création d’emplois est aussi à mettre en perspective avec les subventions ou exonérations fiscales (crédit d’impôt) dont le projet doit bénéficier. À cela s’ajoute la contribution de l’Etat en investissement pour la route, la fourniture d’énergie… qui sont autant de crédits publics qui serviront la Compagnie minière, mais pas le développement global du territoire (besoins sanitaires, enseignement, aménagement du territoire, filières durables…).
Enfin, la rentabilité du projet est liée au cours de l’or, par rapport auquel le social et l’environnement sont vus comme des variables d’ajustement faciles à mettre en œuvre. Que deviendront alors les conditions de travail et avec quel niveau de sécurité le projet sera-t-il déployé ?
Une problématique économique d’ampleur nationale
Outre les impacts environnementaux, sanitaires et sociaux du projet, son financement pose également question.
Un tel projet minier industriel nécessite des financements importants, estimés à 572 millions d’euros. Une avance de 60 millions d’euros serait déjà annoncée, rien que pour les infrastructures routières, qui seront, tout compte fait, à la charge du contribuable.
La hauteur et la diversité de l’investissement, en partie sur fonds publics, laissent penser qu’ils pourraient conduire à la création d’autres projets miniers…dont les conséquences viendraient s’ajouter aux lourdes problématiques sociales, techniques et environnementales actuelles.
L’équilibre financier d’une telle opération questionne également : elle nécessite des investissements publics massifs, mais rapportera des bénéfices privés, peu profitables au territoire. Nous ne savons pas quelle sera la redistribution des richesses produites par le projet, tant au profit des populations locales que des collectivités territoriales par la taxe minière.
Quelles alternatives au projet Montagne d’or?
Développer une filière de recyclage des déchets électriques : la véritable urgence
Selon les estimations de ressources du gisement, la France reviendrait dans le cercle des producteurs mondiaux d’or de premier rang. Mais pour quelle viabilité économique ? Si les métaux rares, tels que l’or, constituent un objectif stratégique pour les besoins de l’économie française, il serait préférable de développer une filière de recyclage de l’ensemble des déchets électriques et électroniques en Guyane. Une telle industrie est pour le moment inexistante dans cet espace sud-américain et caribéen.
En l’espèce, la France a satisfait ses besoins aurifères : l’enjeu est désormais de préserver ses richesses minérales à long terme, au lieu de les extraire pour un bénéfice de court terme.
Seule une petite partie de l’or extrait dans le monde est utilisé dans l’industrie : 53% part dans la bijouterie, 40% dans les banques et seulement 7% dans l’industrie et l’électronique, selon le rapport de la Commission parlementaire d’enquête sur la lutte contre l’orpaillage illégal en Guyane en 2021.
Ecotourisme, économie sociale et solidaire : pour un vrai projet de territoire pour la Guyane
Selon le rapport de 2018 du WWF, sur le potentiel de développement économique de la Guyane, il existe des filières locales à forte valeur ajoutée dans lesquelles investir en Guyane : écotourisme, agriculture et aquaculture durables, pêche, énergies renouvelables, bois, économie sociale et solidaire…
Ces filières nécessitent un projet de territoire cohérent : tout investissement de fonds publics qui viserait à soutenir le développement de l’industrie minière réduirait d’autant la possibilité d’émergence de filières locales structurées et pérennes.
Les propositions d’un rapport du Conseil général de l’environnement et du développement durable sur le développement basé sur la valorisation de la biodiversité et les atouts naturels de la Guyane, peuvent également apporter des éléments tangibles et concrets en faveur d’alternatives crédibles pour un développement durable de ce territoire.
Un débat public qui a tranché en défaveur du projet
- 2017 : FNE milite avec GNE pour un débat public national sur le projet Montagne d’Or
Dès juillet 2017, France Nature Environnement et Guyane Nature Environnement saisissent la Commission nationale du débat public (CNDP) pour organiser un débat public d’ampleur nationale. Celui-ci est refusé par la compagnie Montagne d’Or, le maître d’ouvrage, qui souhaitait une concertation publique sous sa propre conduite.
- 2018 : Un débat public limité à la Guyane, truffé de raccourcis
La CNDP répond favorablement à la demande de nos associations, mais n’organisera finalement ce débat public qu’en Guyane en 2018.
Le dossier fourni par la Compagnie Minière Montagne d’Or a fait l’objet d’une lecture approfondie de France Nature Environnement et Guyane Nature Environnement. Ce dossier raconte une belle histoire, loin de la réalité… Les risques sont minimisés, les propos très généraux : il manque aussi beaucoup de données importantes pour évaluer le projet et les études fournies sont insuffisantes.
En lien avec d’autres acteurs locaux, FNE et GNE se sont fortement impliquées dans le débat public en 2018: GNE a pu rencontrer en amont la Commission Particulière du Débat Public, participer à 8 réunions publiques sur 11, être auditionnée et participer à la rédaction de 4 cahiers d’acteurs :
- Cahier d’Acteur-3-FNE – Un projet minier à hauts risques
- Cahier d’Acteur-5-FNE-GNE – Le projet de la CMMO à Boeuf Mort : une mine irresponsable ?
- Cahier d’Acteur-6-GNE – Les risques de la cyanuration dans le projet de la CMMO à Boeuf-Mort
- Cahier d’Acteur-13-FNE-GNE – Le projet de la CMMO à Boeuf-Mort : un écocide
- Cahier d’Acteur-4-Kwata-UICN France – Ce projet ne répond pas au développement durable de la Guyane
- Lire tous les cahiers d’acteurs
- Lire le compte-rendu du débat public
Lire la contribution de FNE et GNE – Des alternatives à un projet destructeur et passéiste
- 2019 : L’Etat juge le projet Montagne d’Or incompatible avec sa politique environnementale
L’Etat a refusé implicitement en 2019 d’accorder à la compagnie Montagne d’Or la prolongation de ses concessions minières pour une durée de vingt-cinq ans, nécessaire à la réalisation du projet minier.
A l’occasion de plusieurs communiqués de presse, le Gouvernement a affirmé que le projet Montagne d’Or tel qu’il a été présenté n’est pas compatible avec ses ambitions en matière d’environnement, rappelées le 11 janvier 2021 par le président de la République à l’occasion de la quatrième édition du One Planet Summit dédiée aux enjeux de protection de la biodiversité.
Malgré cet effet d’annonce politique, la Compagnie Montagne d’or n’en est pas restée là. En effet, elle a contesté le refus du renouvellement de ses concessions devant le tribunal administratif de la Guyane, ouvrant alors le contentieux des concessions minières.
En octobre 2022, Orea Mining a également annoncé revendre ses parts dans un autre projet minier pour se consacrer à Montagne d’or. Le projet reviendrait donc sous une nouvelle mouture, prétendument plus verte, annoncée en septembre 2021 à la veille de l’ouverture du Congrès Mondial de la nature.
Guyane Nature Environnement reste attentive quant à la proposition d’un nouveau projet Montagne d’or et aux autres projets d’extraction aurifère sur le territoire guyanais.